Hommage par Guy Darcourt

Hommage au Docteur TOUSSAINT BRACCINI
(1940-2006)

Neuropsychiatre des Hôpitaux

    Je suis heureux de rendre ici hommage à Toussaint Braccini. J’ai fait sa connaissance au début des années soixante dix quand il était interne, il devenu en 1975 mon premier chef de clinique puis, après sa nomination comme praticien hospitalier, il est resté mon adjoint jusqu’à son départ en Corse en 1996. Nous avons ainsi travaillé journellement ensemble pendant 25 ans. L’élève était devenu l’ami. Nos tempéraments étaient dissemblables mais cela n’a jamais entravé nos relations. Au contraire nos différences nous faisaient nous compléter. Sa personnalité était très originale. Sous une allure désinvolte, il était d’une grande conscience professionnelle, à la fois anticonformiste et respectueux des autres, fantaisiste et méthodique, indépendant d’esprit et fidèle en amitié.
    Né à Marseille, il passa son enfance et son adolescence à Nice et fit ses études secondaires au lycée Massena.Après son baccalauréat, il alla faire ses études de médecine à Marseille puis fut interne à Nice de 1970 à 1975. C’est là qu’il se spécialisa en psychiatrie, puis passa la plus grande partie de sa carrière en participant à toutes les étapes de la création du service universitaire de psychiatrie. En 1996, il prit la chefferie de service d’un secteur psychiatrique de Bastia. Il réalisait son légitime souhait d’autonomie et son aspiration à retrouver ses racines corses. Pendant les dix années qui suivirent, nous sommes restés en relations constantes.
    Son activité hospitalière était caractérisée par la rigueur et la créativité. Au sein du service, il a pris successivement des responsabilités diverses. Lorsqu’il avait la charge d’un secteur de soins, il l‘assumait pleinement. C’était sécurisant pour moi car il réglait les problèmes au mieux tout en me tenant au courant, ne se défaussant jamais sur les autres dans les situations difficiles et en même temps prêt à collaborer avec d’autres collègues pour les aider à résoudre des problèmes complexes. Il n’aimait pas la routine, il appréciait de changer de responsabilités tous les deux ou trois ans et avait toujours des idées pour une action nouvelle. Je disais de lui qu’il était un « booster » du service, il était à mon égard d’une loyauté exemplaire et ne contestait jamais l’orientation du service mais, comme ces fusées complémentaires qui accroissent la puissance de la fusée centrale, il proposait des initiatives et des nouveautés qui enrichissaient le fonctionnement général.
    C’est lui qui proposa de transformer une unité d’hospitalisation à temps plein en « unité de semaine ». Lorsqu’il fit cette proposition à l’équipe, les autres responsables d’unités furent réticents. Ils lui dirent qu’il ne pourrait accepter dans cette structure souple que des cas légers et qu’il leur laisserait ainsi les patients les plus difficiles. Il affirma que non et tout le monde savait qu’on pouvait lui faire confiance. De fait il géra cette unité sans jamais chercher la facilité, hospitalisant des cas graves et les prenant en charge pleinement. Il lui arrivait, lorsqu’un patient « s’échappait », de se rendre chez lui ou de partir à sa recherche pour prévenir tout comportement pathologique. A une autre période, il prit en charge l’hôpital de jour, puis, quelques années plus tard, l’accueil de urgences. Son plaisir à assumer une fonction nouvelle se traduisait par son dynamisme à vivifier la structure qu’il dirigeait. C’est lui qui a créé et animé un groupe de parents de schizophrènes, qu’il appelait « le groupe des mères » car elles y étaient majoritaires, dans lequel les familles pouvaient parler de leurs problèmes et trouver une aide par les échanges qu’elles avaient autant avec les autres parents qu’avec l’équipe médicale. Ouvert aux nouvelles approches, il apprit les méthodes comportementales et cognitives et les techniques d’affirmation de soi, les utilisa et les enseigna aux étudiants. Il fut aussi le promoteur de l’informatique dans le service. Dans les années 80, les hôpitaux n’équipaient pas les services comme il le font maintenant et il n’y avait sur le marché que peu de logiciels adaptés aux problèmes médicaux. Il nous acquérir des ordinateurs et il fabriqua des programmes. Il réorganisa le secrétariat des consultations en informatisant la gestion des rendez-vous puis mis au point des méthodes statistiques pour nous permettre de faire des études épidémiologiques. Pendant les dernières années de sa chefferie de service à Bastia, il développa la prise en charge de la maladie d’Alzheimer et il s’y consacra  avec enthousiasme et générosité. La veille de sa mort, il téléphonait à la direction de l’hôpital et à des collègues pour leur parler de l’organisation d’un réseau de soins. Il se savait pourtant condamné à brève échéance car il voulait tout réaliser sans délai mais il ne se plaignait pas. Il supportait avec lucidité et stoïcisme son destin et en parlait avec objectivité. L’ami un peu bohème nous confirmait sa force de caractère.
    Il n’était pas qu’un soignant. Il aimait réfléchir à sa pratique, faire de la recherche, enseigner, communiquer et débattre. Il laisse une œuvre importante dont on trouvera ci-après la liste des publications et communications. Voici les principales orientations de ses travaux.

De la neurologie à la psychiatrie :
       Il avait une formation de neuro-psychiatre. Il fit quelques recherches purement neurologiques (12, 83, 86, 87) et consacra notamment sa thèse à une méthode nouvelle d’étude des protéines du liquide céphalo-rachidien : l’immuno-électrophorèse bidimensionnelle (1). Cela le conduisit à s’intéresser au substratum biologique des troubles psychiques : tout naturellement d’abord les anomalies du LCR en psychiatrie (31, 41, 92, 96), puis les manifestations électrophysiologiques cérébrales : potentiels évoqués (101, 105) variation contingente négative (90, 93), enfin et surtout les corrélations endocrinologiques (16, 20, 42, 44, 82, 88, 100, 102, 104). C’est un domaine qui s’est avéré par la suite moins fructueux pour la psychiatrie que ce qu’on avait espéré. Une telle conclusion négative est un peu décevante mais pour l’atteindre il fallait bien que des chercheurs s’y consacrent. Il a été de ceux-là et il l’a fait avec beaucoup de rigueur, quelquefois même avec trop de modestie. Ainsi à la fin des années quatre-vingts, il a réalisé pendant un an une recherche approfondie sur les perturbations endocriniennes au cours des affections psychiatriques et ses résultats étaient en faveur d‘une corrélation non pas avec tel ou tel syndrome psychiatrique mais avec le degré d’acuité de la maladie. C’était une tendance mais il n’était pas arrivé à la confirmer suffisamment à son gré et il a préféré ne pas publier ce travail. Pour ma part je l’ai regretté et je lui ai conseillé de faire au moins connaître ses résultats mais il est resté inflexible. On voit jusqu’où pouvaient aller sa modestie et son souci de rigueur.

    La clinique psychiatrique a été un de ses domaines d’élection. Il a publié des observations de cas exceptionnels (28, 37, 72, 84, 91) et des études critiques de syndromes psychiatriques : les états-limites (19), les syndromes psycho-affectifs (50, 55, 114,), l’hystérie (51, 54,) les psychoses (59), l’anxiété et la dépression (69, 111, 129,142), le suicide (61, 62, 63, 74), la violence (73, 75, 137, 138). Il a aussi beaucoup travaillé sur les instruments d’aide au diagnostic : évaluation d’échelles (43), mise au point d’une échelle nouvelle pour la dépression (115, 118) et surtout mise au point d’une échelle originale pour évaluer non pas les symptômes des psychotiques mais leur aptitude à la vie sociale et relationnelle (Echelle d’Aptitude psycho-sociale EAPS). L’apragmatisme des psychotiques n’est pas proportionnel à l’importance du délire ou des hallucinations et c’est pourtant lui qui conditionne les possibilités de réhabilitation sociale. Il nous est apparu qu’il serait bon d’avoir un instrument pour évaluer la capacité de ces sujets à s’insérer dans leur milieu social. Nous avons créé cette échelle dans le service, toute l’équipe y a participé et Toussaint Braccini y a pris une part majeure (64, 71, 113, 117, 120,125). Enfin les recherches dont il a pris l’entière initiative et qu’il a assumées pleinement ont reposé sur l’utilisation de l’informatique pour l’analyse clinique. Nous avons vu qu’il avait implanté l’informatique dans le service. Après l’avoir appliquée à la gestion des consultations, il l’a utilisée pour des travaux statistiques sur l’hystérie (56, 57), les toxicomanies (65), les psychoses (109), l’épidémiologie de la dépression du sujet âgé (106), des psychoses (123) et l’analyse des classifications internationales (108, 119). En 1993 il a organisé à Nice un colloque qui a eu beaucoup de succès, qu’il avait appelé « RIPSy 93 » et qui était consacré à l’utilisation de l’informatique en psychiatrie (77, 78).

    La thérapeutique psychiatrique a été un autre domaine de choix. La mission de tout service universitaire est de participer à la mise au point et au contrôle des nouveaux traitements. Cela ne requiert peu de la méthode, de la patience et de l’objectivité. Il s’est toujours associé avec bonne volonté au recueil des données et à leur analyse (4, 6, 7, 11, 13, 14, 17, 23, 39, 45, 52, 58, 60) et il s’est donné pleinement à des recherches originales sur le mode d’action des antidépresseurs (40), sur la chronothérapie dans la dépression (98), sur l’utilisation des antidépresseurs dans les délires (122, 126), sur la thérapeutique des urgences (68, 128). Il a beaucoup travaillé sur le lithium. A la fin des années soixante, l’utilisation du carbonate de lithium a été proposée pour traiter les troubles bipolaires. Cette thérapeutique était d’application délicate car le surdosage était dangereux et il fallait donc assurer une surveillance des taux sanguins. Le laboratoire de biochimie de l’hôpital Pasteur (dirigé par P. Chambon) fut un des premiers en France à s’équiper du matériel nécessaire ce qui nous permis d’étudier cette médication assez révolutionnaire et T. Braccini y consacra beaucoup d’efforts. Il associa les études biologiques et les études cliniques. Il étudia sa répartition dans le sang entre le plasma et les érythrocytes (21, 27, 33) et dans le système nerveux (35, 94). IL faut particulièrement remarquer ses travaux sur la tolérance et les effets secondaires (9, 38). Au cours des années soixante-dix, plusieurs publications anglo-saxonnes avaient rapporté des incidents au cours de traitements associant le lithium et un neuroleptique et avaient soutenu qu’il y avait incompatibilité entre les deux médications. Or bien des psychotiques qui ont besoin de neuroleptiques présentent aussi des oscillations de l’humeur contrôlables par le lithium. Le problème était sérieux car il était grave de courir des risques en cas d’incompatibilité et, à l’opposé, l’interdiction de cette association était un appauvrissement thérapeutique. T.Braccini réalisa un important travail, il rassembla les dossiers des patients traités par les divers membres de l’équipe (au total 265 cures où les deux médications avaient été associées) et il en fit une étude approfondie. Il démontra que chacun des traitements pouvant avoir par lui-même des effets secondaires, leur association ajoutait les deux risques mais ne les multipliait pas. Il y avait un effet cumulatif et non une incompatibilité. C’était une constatation majeure qui résolvait le problème.
La thérapeutique ne se limite pas à la prescription de médicaments mais comprend aussi les conditions d’hospitalisation et il a rapporté son expérience de responsable d’une unité d’hospitalisation de semaine (67, 110, 112, 116) puis d’un service d’accueil des urgences psychiatriques (121, 124, 141).

     Il avait aussi le goût de la psychologie, de la psychopathologie et des sciences humaines qui sont les bases théoriques de la psychiatrie et, tout au long de sa carrière, il a suivi l’évolution des courants théoriques. D’abord la psychologie médicale avec la question des informations à donner aux patients (10, 107), puis la psychanalyse utilisée pour la compréhension des conduites (29, 30, 34). Il s’est ensuite intéressé au langage, surtout celui des psychotiques (15, 18, 22, 32, 85, 89, 127). Il a souligné combien la pensée du psychotique s’écarte des associations courantes. Il a par exemple mis au point un test de phrases à compléter dans lequel il était proposé des phrases incomplètes (par exemple : « le………..que les enfants ont trouvé dans un buisson était blessé. ») que les sujets sains complétaient à peu près tous de la même façon (ici « le petit oiseau ») et il a montré que les psychotiques apportaient des compléments inadaptés et bizarres. Il mettait ainsi en évidence que le délire ne se limite pas à telle ou telle pensée fausse mais est un mode de fonctionnement intellectuel globalement inadapté à la culture. Dans les années quatre-vingts dix, il a étudié les images mentales dans la psychose (131, 133, 134 ,135). Il a enfin beaucoup travaillé sur le cognitivisme. Cette théorie n’existait pas quand il a fait sa formation mais il a été attentif à son apparition et a contribué à son essor. Il l’utilisait pour des prises en charge psychothérapiques et a publié des textes d’enseignement (140), des comptes-rendus de traitement soit en groupe par la technique de l’affirmation de soi (79, 144), soit en psychothérapies individuelles dans les troubles obsessionnels (130, 139) et les attaques de panique (132, 136). Sa dernière évolution intellectuelle s’est faite, toujours dans le domaine cognitif, à propos de la détérioration intellectuelle de la maladie d’Alzheimer. Il a publié un travail critique sur un inventaire neuropsychiatrique destiné à évaluer le comportement des sujets déments (81) mais la maladie a interrompu cette nouvelle démarche.

    Il faut enfin parler de son activité d’enseignant. Il a publié de multiples mises au point sur la mélancolie (3), le delirium tremens (24),, la confusion mentale (25), les aspects psychiques de l’épilepsie (26), la maladie de Pick (48), la paralysie générale (49), la maladie de Creutzfeld-Jacob (53), la maladie d’Alzheimer (80), le suicide (145). Il a rédigé un cours de neurologie (2) et il a participé à la rédaction collective d’un précis de psychiatrie destinée à la préparation à l’internat qui a eu trois éditions (46, 47, 76). Il a enfin publié des réflexions originales sur la pédagogie de l’enseignement de psychologie médicale : ses difficulté et ses ambiguïtés (8), les travaux pratiques par enquêtes (5), la méthode d’analyse de cas (36, 95), les techniques audio-visuelles (99). Quand il était à Nice, il participait en permanence à l’enseignement destiné aux étudiants préparant le D.E.S. de psychiatrie ainsi qu’aux divers stagiaires (psychologues, infirmiers). A Bastia il n’avait pas cette opportunité mais il était toujours disposé à apporter sa contribution à des enseignements. Ainsi, en mars 2002, je lui avais proposé de venir avec moi à Hanoï pour une mission de formation de jeunes psychiatres. Il avait tout de suite accepté et nous nous sommes ainsi répartis les divers cours. A notre retour, il a accepté, dans son service, pendant un an, une jeune étudiante vietnamienne qu’il a eu la responsabilité de former. Sa fibre enseignante était vivace.

    Voila une carrière bien remplie, variée et originale. Il a parcouru sa vie en suivant son propre chemin, toujours l’esprit en éveil, curieux et désintéressé, anticonformiste et rigoureux, d’esprit indépendant mais fidèle en amitié. Il nous laisse une œuvre intéressante. Nous sommes tristes de l’avoir perdu mais heureux de l’avoir connu.

 

Nice, Le 30 avril 2007

Guy Darcourt
Professeur émérite de psychiatrie
 à l’Université de Nice Sophia-Antipolis

 

 

 

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Dr Toussaint BRACCINI
Neuro-Psychiatre

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